Quand un virtuose de la Nouvelle Orléans était acclamé par le public bordelais
Dans le cadre de notre déambulation à Bordeaux à l’époque du clown Chocolat ce samedi 21 septembre voici la rencontre avec un artiste des Antilles apprécié en son époque à Bordeaux. De nombreuses autres surprises vous attendent au cours de cette déambulation.
En 1886, un critique anonyme du magazine l’Artiste de Bordeaux écrivait “qu’il n’y a pas un seul habitant à Bordeaux qui ne connaisse Edmond Dédé et ne l’ait écouté et applaudi. Plusieurs générations ont fredonné ses refrains les plus gais » ! Mais qui était Dédé ?
De la Nouvelle-Orléans à Paris en passant par Bordeaux
Fils de créoles libres originaires de Saint-Domingue, Edmond Dédé naît à la Nouvelle-Orléans le 20 novembre 1827. Son père qui dirige la société de fanfare locale est son premier professeur de clarinette mais bientôt il se distingue au violon dont il joue avec brio. Un de ses maîtres est Constantin Debergue, violoniste noir, directeur de la Société Philharmonique fondée par des créoles libres avant la Guerre de Sécession. Il bénéficie des conseils de l’Italien Ludovico Gabici qui dirige alors l’orchestre du Théâtre Saint-Charles. Eugène Prévost, un Français, grand prix de Rome en 1821 qui dirige les orchestres du Théâtre d’Orléans et de l’Opéra Français de la Nouvelle-Orléans lui donne des cours de contrepoint et d’harmonie. Il est aidé également par Charles Richard Lambert, musicien noir né à New York, chef d’orchestre de la Société Philharmonique. Cette institutions phare est le premier orchestre de la Nouvelle-Orléans comptant une centaine d’instrumentistes dont des musiciens blancs. La mélodie de Dédé, Mon pauvre cœur, parue en 1852 est la plus ancienne partition existante d’un compositeur créole de la Nouvelle-Orléans. Pour arrondir ses fins de mois, Dédé fabrique des cigares, activité courante pour la plupart des musiciens noirs Louisianais de l’époque.
En 1857, il a réuni la somme nécessaire à un voyage en Europe où il arrive à Paris, muni de recommandations auprès des professeurs du Conservatoire de Paris dont Charles Gounod, dont il devient un proche.
Edmond Dédé au Grand Théâtre et Alcazar de Bordeaux.
C’est au début des années 1860 qu’il s’installe à Bordeaux où il dirige d’abord l’orchestre du Grand Théâtre. A cette époque, les relations entre Bordeaux et la Nouvelle-Orléans sont très actives et plusieurs créoles de Louisiane, musiciens et écrivains s’installent à Paris comme à Bordeaux durant cette décennies pour échapper à la guerre civile américaine et à la montée du racisme envers les hommes libres de couleur. Il épouse une bordelaise Sylvie Leflat dont il a un fil, Eugène qui poursuivra aussi une carrière musicale.
Après quelques voyages à Alger, Paris et Marseille, il passe le plus
clair de son temps à Bordeaux où il dirige ensuite l’orchestre du
Théâtre de l’Alcazar et des Folies bordelaises sur la rive droite.
A
cette époque où la musique légère du café-concert est en vogue auprès
du grand public, il compose quelques 150 danses, 95 chansons *, des
ballets et des opérettes, production variée qui tranche avec les œuvres
des compositeurs noirs de la Nouvelle-Orléans qui écrivent
essentiellement des airs de danse pour piano et des chansons.
L’adieu aux Etats-Unis
Edmond Dédé retournera une seule fois aux Etats-Unis en 1893. Lors de la traversée, le bateau subit de sérieuses avaries et il perd son violon de Crémone. Accueilli à la Nouvelle-Orléans, il donne de nombreux récitals avec le pianiste W.J Nickerson, professeur de Jerry Roll (créole connu pour être le père du jazz). Il écrit deux nouvelles chansons dont « Patriotisme » , son adieu à la Nouvelle-Orléans qu’il ne reconnait plus en raison de la dégradation des relations entre les communautés et de la montée des problèmes dus à la ségrégation raciale. Il accepte de devenir membre honoraire de la Société des Jeunes Amis, association sociale essentiellement composée de créoles de couleur libres. Fatigué de subir le préjudice de race, il revient à Paris où il entre à la Société des Auteurs Dramatiques et Compositeurs en 1894, avant de s’éteindre dans la capitale en 1901.
* Cora la bordelaise. Extrait du CD American Classics : Edmond Dédé (1827-1901) Hot Springs Festival. Dir. Richard Rosenberg
« Je suis venue au monde à l’hôtel de Papa
Sis à Bordeaux Gironde,
près le Grand Opéra.
Enfin je suis gasconne
Et j’ai l’esprit malin
D’ailleurs bonne personne,
Car j’ai fait mon chemin…... »
Anne Marbot, d’après Lester
Sullivan, archiviste de la Xavier University of Louisiana ici