LE
CITOYEN COTTET
Aux ouvriers et aux instituteurs
Du département de l’Aube
Liberté Egalité Fraternité
Pour que la Représentation Nationale soit complète et en tout conforme au
principe républicain qui doit présider à sa formation, il faut que chacune des
grandes catégories dont se compose la Nation ait ses représentations directes;
il faut donc qu'à côté des représentants de l'agriculture, du commerce, des
arts, de l’industrie manufacturière, de l'armée, etc., figurent les
représentants de la grande masse des ouvriers proprement dits.
L'Assemblée Nationale doit compter, dans son sein, des citoyens ayant porté
la veste et le tablier; des hommes qui connaissent intimement les besoins de
l'atelier et de la mansarde.
Les instituteurs primaires sont aussi des ouvriers dont la mission,
laborieuse et sainte, doit devenir de plus en plus imposante sous l'empire de
nos nouvelles institutions. Tâchôns que les instituteurs, si mal récompensés
jusqu'ici de leurs nobles et pénibles travaux, aient aussi quelques
représentants choisis parmi ceux qui ont longtemps respiré la poussière et
l’air vicié des classes.
Tel est le vœu du Gouvernement provisoire ; tel
paraissait être le vœu de tous 1es
Comités électoraux ; tel est celui
de tous les bons et vrais Républicains.
Dès le commencement de la lutte électorale, des ouvriers de Troyes et d'A
rcis, et des instituteurs, tous mes anciens camarades, m'ont dit : Soyez notre
représentant.
Jusqu'ici j'avais reculé, effrayé que j’étais en comparant la faiblesse de
mes moyen à la grandeur de la tâche que des amis trop confiants voulaient m'imposer. Mais
voyant en fin que les Comités électorau
x de Troyes, malgré leur promesse, ne
présentent, sur leur liste, aucune candidature sérieuse d'ouvrier ;
désirant voir chez nous le grand principe de l’élection populaire
consacré par le fait ; persuadé que le
dévoûment et l'amour de la patrie peuvent, jusqu' à un certain point, compenser
la capacité,, j’accepte enfin la candidature qui m’est proposée, et je m’offre
à vous comme le représentant special des ouvriers et des instituteurs.
Ouvriers et instituteurs de l’Aube ! beaucoup d’entre vous me connaissent
depuis l’enfance : les uns m’ont connu ouvrier tisserand pendant huit années ;
les autres ont assisté à mes leçons publiques d’enseignement populaire, à
l’hôtel de ville et au musée de Troyes. Tous les instituteurs m’ont connu à
l’école normale de l’Aube, où pendant huit années aussi, j’ai mis mon faible
savoir et mon dévouement à leur service.
Que ceux qui me connaissent depuis longtemps dissent ce que j’ai été et ce
que je suis ; qu’ils disent si je suis républicain d’hier ou républicain de
longue date ; qu’ils me fassent connaître à ceux qui ne me connaissent pas, et
les suffrages ne me manqueront pas !
Une circonstance pourrait nuire à ma candidature, si je ne prévenais pas les
objections qu’elle peut oulever. Je suis, depuis quatre ans, vérificateur des
poids et mesures à Arcis, c’est-à-dire fonctionnaire public nommé par l’ancien
gouvernement.
Qu 'on sache bien que j'ai obtenu cet emploi au concours, et non par faveur
; que je l'ai obtenu que parce que la
faiblesse relative de mes
concurrents à mis les distributeurs de faveurs d’alors dans l'
impossibilité de m'évincer ; qu'enfin cet emploi est tout-à-fait en dehors de
la politique, et que son exercice est spécialement à
l'avantage des pauvres, qu'il
met à l 'abri
(de la fraude,
de la cupidité
des marchands de
mauvaise foi . II est bien
entendu que ma démission
serait une conséquence forcée de mon élection
en cas de succès.
Ouvriers et Instituteurs de l'Aube ! je réclame donc vos sùffrages, et vous
adresse ma profession de foi,
franche et loyale, me vouant à votre inimitié, à votre juste
mépris si je manquais au moindre de mes engagements. Aucune autre
démarche ne sera faite par moi , ni de ma
part, pour déterminer vos votes.
Je ne vous demande rien pour moi , car, pensez-y bien, en acceptant la
députation , je risque mon avenir et peut-être ma vie ; j'ai ici tout à
perdre et rien à gagner : la députation n'est plus, ne doit plus être un marche-pied . Je vous demande vos
suffrag·es dans votre propre
intérêt, dans l'intérêt de
la défense du plus beau des droits conqu
is par nos frères de Paris, le 21 févricr dernier, le droit de representation pa r tous et pour
tous. Si nous ne voulons pas perdre ce droit , nous en devons faire usage dès
aujourd'hui .
PROFESSION DE FOI
Je veux la République, rien que la République ; avec toutes ses
institutions largement libérales. Je la veux telle que l'ont comprise ceux qui
ont décrété l'abolition de la peine de mort pour délits politiques,
l'organisation du travail et l’abolition complète de l'esclava ge.
Je veu x la République, c'est-à-dire le gouvernemen t de la na tion par la
nation au moyen d'une représentation
législative vraiment nationale, et d’un
pouvoir électif temporaire et responsible
Je veux la République, parce que j’ai la conviction que ce mode de
gouvernement est le seul qui convienne à une nation éclairée ; parce que c’est
sous un gouvernement républicain exclusivement, que l’homme comprend sa
dignité, peut jouir de la plenitude de ses droits, et dire véritablement : Je
suis libre et égal aux autres hommes qui sont mes frères.
A ceux qui ne partageraient pas ma conviction, je dirais encore: Je veux la
République, parce que c’est une nécessité, une conséquence naturelle de notre
civilisation ; parce que la royauté, sous quelque couleur qu’elle se présente,
n’est plus possible en France.
Je repousse complètement toute idée, toute doctrine qui tendrait à porter
atteinte aux droits sacrés de la propriété.
Je veux l’allègement des charges qui pèsent sur le pauvre, par la
suppression de tout impôt portant sur des objets de consommation générale et
nécessaire, en substituant aux impôts actuellement existants, un impôt sur les
objets de luxe et de fantaisie.
Je veux que tout impôt soit progressif, c’est-à-dire augmente avec la
valeur des objets imposés, plus que proportionnellement à cette valeur.
Je veux que tous les emplois, sans exception, soient soumis à l’élection ou
au concours ; que toute charge cesse d’être vénale ; que tout cumul d’emploi
soit rendu impossible ; qu’aucun fonctionnaire ne soit appelé à la
représentation nationale sans avoir au préalable abandonné son emploi.
Je veux la liberté absolue de la pensée, et de son expression par la
parole, l’écriture ou la presse.
Je veux la liberté absolue de la conscience en matière religieuse, le libre
exercice de tous les cultes, le respect pour toutes les croyances.
Je veux que l’instruction à tous les degrés soit gratuite pour tous,
accessible à tous, sauf les conditions d’aptitudes pour l’admission aux écoles
spéciales ; que l’instruction soit
largement développée et encouragée par tous les moyens possibles ; que par
conséquent, tous ceux qui seront chargés de la répandre soient rétribués par
l’état, assez honorablement pour qu’on puisse exiger d’eux toutes les lumières
et tout le zèle qu’exigera leur haute et importante mission.
Je veux une organisation du travail basée sur une association bien entendue
du travail et des capitaux, sur une répartition équitable des bénéfices entre
le capitaliste et les travailleurs.
Enfin, je veux que le mot justice, devant les tribunaux, soit une vérité ;
que la justice soit rendue gratuitement et soit plus expéditive, surtout en
matière civile, de telle sorte que sa balance ne soit plus entraînée par le
poids de l’or du riche.
Voilà ce que je veux et ce que je défendrai de tout mon pouvoir, envers et
contre tous, si vous me jugez digne de vous représenter à la prochaine
Assemblée Nationale.
Salut et Fraternité
COTTET
Vérificateur des poids et mesures
ancien Ouvrier Tisserand
ancien Professeur à l’Ecole normale