dimanche 10 mars 2024

Hommage Helen Harden Chenut 1939-2023 par Jean-Michel Van Houtte



  publication dimanche 9 mars 2024

Libération-Champagne, L'Est-Eclair

L’historienne américaine Helen Harden Chenut s’est éteinte le 19 mai 2023 et a été inhumée au cimetière de Montparnasse le 8 mars 2024, journée internationale du droit des femmes.

 

 

 


Hommage à l'historienne Helen Harden-Chenut par Les Archives départementales de l'Aube

L’historienne américaine Helen Harden Chenut s’est éteinte le 19 mai 2023 et a été inhumée au cimetière de Montparnasse le 8 mars 2024, journée internationale du droit des femmes.

Historienne des mouvements sociaux et pionnière de l’histoire des femmes en France et en Europe, Helen Harden Chenut a consacré l’essentiel de ses recherches à la bonneterie troyenne et multiplié les entretiens avec les bonnetières, syndicalistes ou simples ouvrières, entretiens qui constituent la base des archives orales de la bonneterie. Son initiative a inspiré et favorisé l’opération de collectage menée par les Archives départementales de l’Aube entre 2008 et 2011, et tout récemment mise en ligne.

En 2010, elle a publié, avec l’aide du Conseil général de l’Aube, Les ouvrières de la République. Les bonnetières de Troyes sous la Troisième République, traduction de La Fabrique du genre : culture de la classe ouvrière sous la IIIe République en France, édité aux Etats-Unis en 2005 et issu de sa thèse de doctorat soutenue à Paris en 1988 sur la formation d’une culture ouvrière féminine dans la bonneterie troyenne. Cet ouvrage majeur sur l’histoire des femmes auboises est consultable dans la salle de lecture des Archives départementales. Il peut également toujours être commandé via notre site Internet.
En hommage à sa mémoire, nous reproduisons ci-dessous le compte-rendu de l’ouvrage fait par Jean-Louis Humbert devant la Société académique de l’Aube en 2011.

Les ouvrières de la République. Les bonnetières de Troyes sous la Troisième République compte – rendu de l’ouvrage d’Helen Harden Chenut

par Jean-Louis Humbert, membre résidant

Mémoires de la Société académique de l’Aube, t. CXXXV, 2011, p. 187-191. Texte reproduit avec l’aimable autorisation de la Société académique de l’Aube.
Les ouvrières de la République. Les bonnetières de Troyes sous la Troisième République

Les ouvrières de la République. Les bonnetières de Troyes sous la Troisième République (2.7 Mo)

Mes chers Collègues,

André Dolat, notre président m’a chargé de vous présenter l’ouvrage que vient de publier l’historienne américaine Helen Harden Chenut, intitulé Les ouvrières de la République. Les bonnetières de Troyes sous la Troisième République, paru en 2010 aux Presses universitaires de Rennes avec l’aide du Conseil général de l’Aube. Charge dont je m’acquitte bien volontiers, car notre Société se doit de rendre compte des publications qui intéressent notre département. Charge dont je m’acquitte encore plus volontiers puisqu’au fil de ses séjours à Troyes, Helen Harden Chenut est devenue une amie.

Helen Harden Chenut propose ici la traduction française de The fabric of gender : working class culture in third republic France, livre édité aux États-Unis en 2005, issu de sa thèse de doctorat soutenue à l’Université de Paris VII en 1988 (Formation d’une culture ouvrière féminine : les bonnetières troyennes, 1880-1939).

La traduction du titre fait disparaître l’une des spécificités de cet ouvrage d’histoire sociale qui est de s’inscrire dans le champ de l’histoire des femmes, champ apparu dans l’école historique française au début des années 1970, et dans celui de l’histoire du gender, terme et concept dus à des universitaires américaines et traduit en français par « genre » en 1988.

Dans la lignée des travaux de Michelle Perrot, novatrice historienne des femmes qui l’a encouragée tout au long de ses recherches, Helen Harden Chenut choisit en effet de centrer son étude sur le travail féminin. Cela lui permet « de rendre compte des inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes, suite à la féminisation croissante de la main d’œuvre, et d’expliquer pourquoi l’on estimait que le travail de celles-ci n’avait pas la même valeur ».

L’histoire ouvrière du travail féminin occupe ainsi une large place dans l’étude. Lorsqu’elle débute ses recherches, Helen Harden Chenut fait partie de ces historiennes – les hommes sont peu présents – qui reconstituent le passé des femmes afin de surmonter une histoire officielle qui se conjugue exclusivement au masculin. Comme l’écrit l’historienne Arlette Farge, il s’agit bien alors « de déchirer le mur de l’oubli ». Puis, sous l’influence des gender studies américaines, il va s’agir de dépasser l’histoire des femmes au profit d’une histoire du rapport entre les hommes et les femmes, entre le masculin et le féminin, et de proposer comme horizon une lecture sexuée des phénomènes historiques.

Il ne suffit pas de dire que les femmes sont moins bien payées que les hommes, qu’elles n’ont ni pouvoir politique ni syndical, encore faut-il le prouver et expliquer pourquoi les bonnetières troyennes, ouvrières qualifiées ou non, sont systématiquement au second plan du processus industriel, alors que, à mesure que l’industrie de la bonneterie se développe, elles sont de plus en plus nombreuses : 51 % de la main d’œuvre en 1901, 61 % en 1921.
Mémoire de la bonneterie
Mémoire de la bonneterie

Dans sa démarche scientifique, Helen Harden Chenut développe trois stratégies de recherche appliquées à la temporalité, à l’espace et aux sources.

Elle examine l’histoire dans la longue durée en intégrant les années 1920 et 1930 à son étude et met ainsi en lumière les liens de continuité entre les revendications ouvrières avant et après la Grande Guerre.

Elle recourt à l’histoire locale de Troyes, capitale française et européenne de la bonneterie, car on y retrouve les traces d’une riche culture de la production textile et des archives abondantes. Pour autant, elle ne néglige pas le contexte national ou international et fait apparaître le tableau général à l’intérieur du microcosme local.

Enfin, elle innove dans le repérage comme dans la lecture des traces du passé. À côté des archives classiques, elle utilise les sources visuelles (réclames, photographies, films) pour comprendre les changements matériels et technologiques qui marquent le XXe siècle. Elle utilise aussi les sources orales en interrogeant des ouvrières qui étaient en activité pendant l’entre-deux-guerres, ce qui lui permet de saisir le quotidien, les aspirations et la complexité de la masse souvent anonyme de ces femmes, jeunes filles, épouses, mères de famille.
Histoire de la bonneterie dans le département de l'Aube
Histoire de la bonneterie dans le département de l'Aube

Au-delà du lieu de travail, Helen Harden Chenut peut ainsi élargir le cadre de son analyse de la culture ouvrière au foyer, à la coopérative, à la rue, aux fêtes communautaires et aux nouvelles formes de loisirs urbains. Ce faisant, elle donne à voir une histoire totale privilégiant certains thèmes : genre et classe, production et consommation, industrialisation et travail à domicile, culture politique et utopie.

Le livre s’ouvre sur le temps court de la grande grève de 1900, dont Helen Harden Chenut cherche ensuite à comprendre les tenants et aboutissants sur le temps long en observant la culture ouvrière dans la multiplicité de ses acteurs et de ses développements. Au terme de son analyse de 400 pages, émergent cinq idées-forces.

L’industrie bonnetière troyenne révèle un processus de transformation technologique et industrielle relativement tardif, partiel et discontinu. Il n’y a pas de transition nette entre la manufacture domestique et les usines fortement mécanisées, entre l’artisanat et la production industrielle à grande échelle, entre la production d’articles de base et celle d’articles de luxe. La mécanisation intensive aboutit vers 1900 à une certaine concentration de la main d’œuvre dans de grandes usines urbaines sans éliminer totalement le système du travail à domicile, idéal familial persistant dans la mentalité ouvrière mais aussi outil pour les fabricants-bonnetiers. Selon des logiques économiques, l’innovation technique est inégale et il en résulte un chevauchement des stades de développement. Le système de production troyen est par ailleurs marqué par une forte féminisation de la main d’œuvre pour la réalisation des tâches de confection.

Les rapports sociaux à Troyes se caractérisent par le comportement agressif des industriels (lockout lors des grandes grèves, rejet des syndicats, contournement des lois sociales censées protéger les droits des travailleurs) et la nature conflictuelle de leurs relations avec les ouvriers et les ouvrières. En l’absence de programmes sociaux, le paternalisme pratiqué par nombre de patrons s’appuie sur les liens de réciprocité – et donc de dépendance - qu’ils établissent entre eux et leurs ouvriers et qui aboutissent au rejet de la lutte des classes.

Le développement de la résistance ouvrière à ce que l’on nomme désormais les stratégies patronales d’ingénierie sociale amène la formation d’une contre-culture d’opposition et la fondation d’institutions ouvrières (syndicats, journaux, coopératives de consommation, Bourse du Travail), au service de la démocratie et de la solidarité. Dans les années 1930, après trois décennies de militantisme au travail, les ouvriers du textile renouent avec le socialisme électoral qu’ils ont pratiqué avant la Grande Guerre, du temps d’Étienne Pédron, et soutiennent par les urnes le Front populaire qui se propose de mettre en oeuvre par la loi les réformes sociales qu’ils demandent depuis si longtemps. La marginalisation des mouvements socialistes fait place à leur intégration et à leur place accrue dans la République.

La consommation apparaît comme une composante essentielle de la contre-culture ouvrière. Avec la création de la coopérative La Laborieuse, conçue comme une alternative au capitalisme marchand, les ouvriers prennent en charge leur existence matérielle. Progressivement, la coopérative étend ses activités au-delà de sa mission initiale - fournir des produits de première nécessité -, pour fonder une pharmacie mutualiste, une bibliothèque et proposer des loisirs. Les femmes qui, dans le milieu ouvrier, tiennent souvent les cordons de la bourse, sont encouragées à y faire leurs achats. En même temps, les biens matériels prennent une importance croissante pour les ouvriers dans leur quête d’égalité et de réussite sociale. Globalement, les ouvriers et les ouvrières troyens de la IIIe République bénéficient petit à petit d’une plus grande diversité de vêtements qui, même s’ils sont de moins bonne qualité, leur permet d’être à la mode et de s’intégrer avec plus d’aisance qu’auparavant dans la société.

8 Fi 1185 - VITOUX GENDRE & FILS, Usines MONDIA, TROYES. - Salle de Bobinage
8 Fi 1185 - VITOUX GENDRE & FILS, Usines MONDIA, TROYES. - Salle de Bobinage

Le développement de la résistance ouvrière à ce que l’on nomme désormais les stratégies patronales d’ingénierie sociale amène la formation d’une contre-culture d’opposition et la fondation d’institutions ouvrières (syndicats, journaux, coopératives de consommation, Bourse du Travail), au service de la démocratie et de la solidarité. Dans les années 1930, après trois décennies de militantisme au travail, les ouvriers du textile renouent avec le socialisme électoral qu’ils ont pratiqué avant la Grande Guerre, du temps d’Étienne Pédron, et soutiennent par les urnes le Front populaire qui se propose de mettre en oeuvre par la loi les réformes sociales qu’ils demandent depuis si longtemps. La marginalisation des mouvements socialistes fait place à leur intégration et à leur place accrue dans la République.

La consommation apparaît comme une composante essentielle de la contre-culture ouvrière. Avec la création de la coopérative La Laborieuse, conçue comme une alternative au capitalisme marchand, les ouvriers prennent en charge leur existence matérielle. Progressivement, la coopérative étend ses activités au-delà de sa mission initiale - fournir des produits de première nécessité -, pour fonder une pharmacie mutualiste, une bibliothèque et proposer des loisirs. Les femmes qui, dans le milieu ouvrier, tiennent souvent les cordons de la bourse, sont encouragées à y faire leurs achats. En même temps, les biens matériels prennent une importance croissante pour les ouvriers dans leur quête d’égalité et de réussite sociale. Globalement, les ouvriers et les ouvrières troyens de la IIIe République bénéficient petit à petit d’une plus grande diversité de vêtements qui, même s’ils sont de moins bonne qualité, leur permet d’être à la mode et de s’intégrer avec plus d’aisance qu’auparavant dans la société.

L’étude d’Helen Harden Chenut démontre enfin l’importance des rapports de genre pour la compréhension de la culture ouvrière troyenne en analysant finement la place des femmes sur le lieu de travail – l’homme au métier, la femme à la couture, alors même qu’elles utilisent de plus en plus des machines -, au sein de la communauté ouvrière – elles sont combatives pendant les grèves, mais ne sont guère reconnues par les syndicats et n’y adhèrent qu’en petit nombre - et dans la société. Elle relève ainsi l’évolution connue par le terme même de bonnetière. Alors qu’il désigne des ouvrières à la fois salariées et qualifiées, à l’image de la reine de la Fête de la Bonneterie de 1909, il est ensuite associé à la « fille d’usine » des années 1930. Leur statut social décline sérieusement dans ce qui apparaît – à ses yeux - un déni de qualification des travaux féminins.

Le livre d’Helen Harden Chenut concerne les Troyens, les Aubois et toutes celles et ceux qui souhaitent en savoir plus sur la ville industrielle, sur la bonneterie et sur la condition féminine sous la IIIe République, époque au cours de laquelle les femmes ont joué, avant même d’avoir des droits politiques, un rôle bien plus important qu’on ne le pensait. Il constitue d’ores et déjà un ouvrage de référence du fait de la rareté d’études aussi précises de la place des femmes dans le processus industriel. Il comble des lacunes dans la connaissance de cette période, réunit une somme d’informations jusque-là dispersées et, par la richesse des enseignements à en tirer, ouvre des perspectives de recherche.

8 Fi 1207 Troyes - 12 septembre 1909 - 1re Fête de la Bonneterie - Réception de la Reine à la Préfecture accompagnée par M. Fernand Doré
8 Fi 1207 Troyes - 12 septembre 1909 - 1re Fête de la Bonneterie - Réception de la Reine à la Préfecture accompagnée par M. Fernand Doré

Pour autant, il ne néglige pas les anecdotes significatives. Ainsi, quand l’ouvrière syndicaliste Suzanne Gallois décide de porter avant sa destinataire – Mme Louis Bonbon - la robe de rayonne dont elle a réalisé l’ourlet, elle « satisfait une petite vengeance », détourne un privilège réservé à la femme du patron et revendique pour elle-même le droit de porter les vêtements fabriqués à l’usine. Quand Mme Laborie, bobineuse de son état, explicite ses conditions de travail – la chaleur de l’atelier oblige à mettre juste une petite blouse par-dessus sa combinaison – elle témoigne de ce qui est à l’époque considéré comme de l’impudeur et révèle en même temps le grand écart existant entre la conception que les bobineuses ont de leur métier et l’image sociale dévalorisante qui est la leur (« Quand on parlait d’une bobineuse, on parlait d’une femme moins que rien, c’était moins qu’une prostituée »). Nul doute que ces anecdotes seront utilisées par Françoise Spiers qui adapte en ce moment le livre d’Helen Harden Chenut pour écrire une pièce de théâtre qui sera jouée au printemps 2012 par une jeune troupe de Pierrefitte, en banlieue parisienne, avant, peut-être, une représentation à Troyes.

De nombreux membres de notre Société ont apporté leur contribution à ce bel ouvrage d’histoire : André Boisseau, Jean Darbot, Jean-Louis Humbert, Claude Bérisé qui a généreusement prêté des photographies provenant de sa collection, Nicolas Dohrmann qui a mené à bien le projet de traduction en obtenant le soutien du Conseil général de l’Aube. Helen Harden Chenut ne les oublie pas dans ses remerciements. C’est tout à son honneur comme c’est tout à l’honneur de la Société académique de l’Aube de l’avoir accueillie tout à l’heure comme membre correspondante.

mardi 6 février 2024

Deux ruelles des chats en France et en Finlande

 
Ruelle des Chats Troyes


                                     Kiisanpiiskaajankuja  Kristiinankaupunki Suomi

samedi 6 janvier 2024

En souvenir de Claude Boyer né à Brienne le Château en 1935 et décédé le 16 août 2023 un article publié par Ouest-France en 2018

 

Le Boyer’s Club expose ses peintures, sculptures et céramiques à La grange aux dîmes de Cambremer.
Le Boyer’s Club expose ses peintures, sculptures et céramiques à La grange aux dîmes de Cambremer. | OUEST-FRANCE

Le Boyer’s Club réunit trois personnes très sympathiques : Claude le père, Françoise, la maman, et Annette Boyer, artiste plasticienne, une touche à tout en peinture, en céramique, en modelage de terre, et sculpture. « Après des études aux Beaux-arts de Caen, et me sentant limitée dans mon expression artistique, j’ai expérimenté des grands modèles en sculpture ou je mélangeais la terre, le métal et la peinture. Dans mes tableaux les lignes sont très présentes. Mon fil conducteur est une ligne très graphique, puis je dispose des collages, de la peinture, de l’encre de chine sur des supports peints, lavés, puis peints à nouveau. Perfectionniste, je ne lâche mon travail que lorsque je le considère parfait, même si celui-ci est original. »

Françoise, peintre autodidacte, vous entraînera avec délicatesse dans son univers floral. Ces tableaux sont d’un tel réalisme que vous aurez l’impression de pouvoir cueillir ses bouquets : « J’ai essayé de peindre d’autres choses, mais à la fin de la journée ce sont toujours des fleurs. Les roses trémières sont mes favorites. Je n’ai pas leurs parfums, mais je sais qu’elles apportent de la bonne humeur à ceux qui les regardent. »

Claude, le papa, dont l’humour et les bons mots fleurissent à chaque instant, vous contera son univers : « Je suis aquarelliste et un amoureux inconditionnel de l’Aube, la rivière de mon enfance. Je savais dessiner depuis toujours, mais je ne savais pas colorier. Une aquarelliste m’a initié à cet art. Le tout est de maîtriser le degré d’humidité de la feuille sur laquelle on travaille. »

La maîtrise de l’eau et du reflet sont l’empreinte de l’aquarelliste. Découvrez les histoires des lieux qui lui ont permis de réaliser ces tableaux, ou encore découvrir le conte de La grenouille bleue. Appréciez, comme un grand cru, les titres des tableaux sur lesquels son humour apparaît en filigrane, comme sur le tableau Appellation Champagne Grand Grues, où l’on peut admirer le passage des Grues dans le ciel Champenois.

Jusqu’au 31 juillet, le Boyer’s Club, à La grange aux dîmes de Cambremer, de 10 h à 19 h.

dimanche 17 décembre 2023

Quelques puits de Troyes








 
                                             Puits de Sainte Jule St Martin ès Vigne

                                               architecte Arsène Flechey 1802-1883

samedi 9 décembre 2023

Nécrologie de Jules Léon Cottet ( publiée dans l’Illinois State Journal le 2 juin 1913 )

 

     Jules Léon COTTET 1835-1913

 
 





Les funérailles de feu Jules Leon COTTET, résident très connu et respecté de cette ville (Springfield), se sont déroulées à Los Angeles, le lundi 26 mai 1913 à 14h30. Une courte mais belle cérémonie, respectant le rituel funéraire ingersollien, a été conduite par la Société Libérale de cette ville. Le corps a été transporté de la chambre funéraire jusqu’au crématorium. La crémation s’est faite dans l’intimité.

M. COTTET est arrivé à Los Angeles le 27 avril, accompagné de son épouse et de sa fille Julie. Il avait une santé défaillante depuis quelque temps et le climat rigoureux et les changements soudains de température lui étaient très néfastes, il pensait améliorer son état en se rendant en Californie. Ils arrivèrent à Los Angeles le 30 avril. Le lundi suivant, M. COTTET était frappé d’apoplexie. Il fut très malade pendant près de trois semaines, déclinant progressivement jusqu’à sa disparition le 24 mai. .

M. COTTET était né à Troyes, France, en 1835. Son père Ambroise Napoléon COTTET, était un éminent professeur et un savant à cette époque. Son fils Jules fut très tôt connu comme le « vieux jeune homme », eu égard à sa maturité d’esprit et à son comportement largement dus au fait qu’il était le compagnon de tous les instants de son père et son associé scientifique.

M. COTTET a reçu sa prime éducation dans l’école où son père était professeur de mathématiques. Puis à Châlons sur Marne, dans une institution qui a encore une réputation mondiale, et qu’il intégra en 1847 à l’âge de douze ans (vraisemblablement l’Ecole mutuelle primaire préparant à l’Ecole Royale des Arts et Métiers).

Nombre d’incidents marquants étaient déjà intervenus dans sa courte jeunesse pour le rendre digne de porter son surnom de « vieux jeune homme ». Son grand-père, un vétéran de Napoléon Ier, voulait en faire un marin. Il s’essaya à la navigation maritime pendant une courte période, mais il ne trouva jamais son pied marin. Le travail qu’on lui demandait, il aurait pu l’accomplir à terre, mais le mal de mer mit un terme à sa carrière navale.

Pendant qu’il suivait ses études dans l’école de Châlons il fit connaissance pour la première fois avec le goût de la guerre. Le 18 septembre 1848, un soulèvement révolutionnaire survint à Francfort sur le Main, son objectif était d’obtenir une Assemblée nationale et une république allemandes.

M. COTTET et plusieurs de ses condisciples partirent pour l’Allemagne. En arrivant à Mayence, ils trouvèrent une ville complètement désorganisée, sans chef, ni dirigeant. Les garçons ne purent franchir à nouveau le Rhin, les Prussiens étaient entre eux et leur patrie. Ils craignirent d’être arrêtés en France, et ils partirent vers le sud du Rhin vers la Suisse. Là ils rencontrèrent les officiers recruteurs de GARIBALDI qui les enrôlèrent sous leur bannière.

A ce moment, le mouvement libéral à Rome était devenu trop puissant pour être contrôlé par le Pape. Le comte ROSSI, un farouche opposant du mouvement libéral, fut nommé chef du gouvernement. Le peuple de Rome en fut indigné. Le 15 novembre 1848, ROSSI était assassiné sur les marches de l’Assemblée. Les troupes républicaines de GARIBALDI marchèrent sur le Palais pontifical, un combat au corps à corps avec la Garde pontificale s’en suivit. M. COTTET et ses camarades y participèrent. Il en fut décoré ultérieurement par GARIBALDI pour avoir fait un prisonnier.

Le Pape prit la fuite le 23 novembre. Il demanda l’assistance des puissances catholiques. En avril 1849 la France républicaine envoya le général OUDINOT et 4 000 hommes contre Rome. GARIBALDI s’échappa pendant le siège. Les jeunes soldats français n’eurent guère le choix.

Rester dans la ville et être faits prisonniers par les soldats français, cela aurait été dur pour eux. Tenter de s’échapper et c’était presque une mort certaine. M. COTTET fut caché quelques jours par une famille accueillante, et finalement il s’échappa et fit son retour en France. Grâce aux efforts combinés de son père et de ses amis, il évita les conséquences néfastes de son escapade. Il réintégra son école, mais il fut pris une nouvelle fois dans les tourments de la guerre.

Le 2 décembre 1851, Napoléon III renversa la République française et se proclama empereur. Dans les combats sur les barricades le frère aîné de M. COTTET, Jules Pierre, fut tué. Tous les républicains furent arrêtés dans leur lit, et parmi eux, M. COTTET et son père. Sans procès d’aucune sorte ils furent numérotés et jetés en prison pour y attendre la mort. Chaque jour, des nombres étaient appelés, ceux qui portaient ces nombres étaient extraits et fusillés. La misère dans ces geôles était terrible. Ceux qui restèrent furent transportés en Algérie après un certain temps.

Près d’Alger, M. COTTET et son père, avec beaucoup d’autres, furent emprisonnés au Camp de Birkadem. Là encore souffrances et morts frappèrent. Une épidémie de choléra survint, les bien-portants devaient secourir les malades. Le fils, Jules, fut chargé de coudre les sacs dans lesquels les cadavres étaient mis avant d’être enterrés. Le choléra l’épargna, mais il eut la dysenterie qui faillit l’emporter. Sans les efforts amicaux d’un arabe influent qui l’hébergea dans sa tente et prit soin de lui, il aurait succombé.

Les quelques prisonniers encore vivants obtinrent la ville comme prison jusqu’à ce que de nouveaux troubles en France provoquèrent leur enfermement au fort Bab-Azoun, un fort construit juste au-dessus de la mer.

C’est de cet endroit, que M. COTTET fit ses adieux à son père, il plongea dans la mer avec plusieurs camarades assez audacieux pour tenter une évasion. Ils furent repêchés par un petit bateau qui les déposa en Espagne. Ils traversèrent l’Espagne et le Portugal à pied. Dans un petit port près de San Sebastian, il embarqua dans un petit bateau à voile arborant le drapeau « stars and stripes ». Quarante-quatre jours de traversée pour rejoindre le port de la Nouvelle-Orléans, 44 jours avec un mal de mer incessant pour le jeune fugitif. Il débarqua le 24 octobre 1854 à la Nouvelle-Orléans. Il n’y resta que quelques jours puis il se rendit à Saint Louis pour y trouver du travail.

Plus tard, il se prit d’intérêt pour la Société icarienne, fondée par Etienne CABET à Nauvoo, Illinois, il s’y rendit pour y devenir membre, occupa la fonction de secrétaire pendant un temps. Pendant son séjour dans la société il épousa Irma JONVAUX. Quand la société se scinda, il retourna avec sa femme à Saint Louis. Il vécut un moment dans une ferme à l’embouchure de la rivière Illinois.

Quand la guerre civile éclata il vint à Springfield et s’enrôla dans le régiment Vaughn. Il servit deux ans, ses activités étant localisées à l’ouest, au Tennessee, à l’Arkansas… Il fut nommé capitaine de la 44ème Unité régulière de l’infanterie de couleur. Sa connaissance approfondie des tactiques militaires et de la pratique du sabre le porta en avant comme un maître instructeur prenant autant de responsabilités qu’il pouvait en assumer. Nombre de soldats qu’il forma se souvenaient avec respect du « Yankee français », nom sous lequel il fut bientôt connu. Ses amis parlent de ses exploits audacieux pendant cette période de sa vie, et certains se souviennent de sa sévérité envers les soldats sans loi, de sa justice stricte, envers tous hommes de couleur ou blancs. Il était bien appréciés par les hommes éminents de cette époque, LINCOLN y compris.

Après la guerre il eut pendant de nombreuses années un atelier de serrurerie sur la Quatrième rue, à l’arrière du lycée. Il devint aussi membre de la brigade des pompiers, responsable technique de la vieille pompe à incendie Silsby de la caserne n°2. Il se consacrait à ce vieil équipement. Bien des années après qu’il eut quitté la brigade du feu, il continua à travailler en extra sur le moteur Silsby. Le dernier incendie pour lequel il fit fonctionner la pompe Silsby toute une nuit avec de bons résultats fut celui du parc de poutres Vredenburgh en janvier 1904. Dans sa profession, il était un adepte du paiement comptant et des affaires saines ; dans ses relations avec le conseil municipal il était viscéralement opposé aux abus de pouvoir.

M. COTTET a eu une santé chancelante pendant quelque temps, il espéra qu’un changement de climat pourrait lui être salutaire et il partit pour Los Angeles le 27 avril. Une semaine plus tard il était victime d’hémorragies cérébrales. Son état empira jusqu’à son décès, le samedi 24 mai.

Sa première femme mourût lorsqu’il vivait sur la Quatrième avenue, le laissant avec deux enfants Eugene et Leonie. Il épousa en secondes noces, Clara WOLPERT de Belleville. De cette union naquirent deux filles, Julie, maintenant à Los Angeles, et Felicie, devenue Mme Ernest B. SNIDER de notre ville (Springfield).

En 1884, il acquit une ferme fruitière à l’ouest de notre ville, il y vécut jusqu’en 1904, il revint au centre-ville, acheta une maison 810 Park avenue, où il vécut jusqu’à son récent départ pour Los Angeles.

M. COTTET laisse derrière lui sa femme, Mme veuve Jules Leon COTTET, sa fille, Julie, toutes deux à Los Angeles ; un fils Eugene de Bloomington ; une fille, Mme Ernest B. SNIDER de Springfield, et sept petits-enfants, Jules Eugene COTTET de Springfield, Viola, Julie, Laura, Lavery et Merritt COTTET de Bloomington et Virginia Louise SNIDER de Springfield.

(ingersollien d’après Robert Green INGERSOLL 1833-1899 colonel, avocat, libre-penseur, agnostique)
 
 
Remarques : 
 
La plupart des évènements sont vrais.
 Toutefois, certains ont pu être arrangés voire inventés à partir de souvenirs  rapportés par le défunt ..
 .
Jules Léon Cottet est né à Troyes le 4 mai 1835.
Son frère aîné Jules Pierre est né le 20 novembre 1833 à Troyes et il est décédé âgé de quelques semaines le 9 décembre 1833, chez sa nourrice à Torvilliers.
 Il n'est pas mort sur les barricades après le coup d'état de Napoléon III. 
Un frère cadet  Pierre Marie Alfred Cottet est né le 24 septembre 1836 à Troyes, et est décédé aussi chez une nourrice le 8 octobre 1836.